« Les recommandations sur la prévention auraient sans aucun doute pu être mieux appliquées par le passé. Aussi, pour rompre avec le passé, les recommandations ont été conçues dans un nouveau format qui les rend plus accessibles », a expliqué le Professeur Joep Perk, président du groupe de travail sur les recommandations. « Ce changement est destiné à favoriser la diffusion des informations contenues dans ces recommandations aux personnes qui en ont besoin, les professionnels de santé qui travaillent dans ce domaine, les hommes politiques et le grand public. »
Les dernières recommandations, développées par le cinquième groupe de travail commun des sociétés de prévention des maladies cardiovasculaires dans la pratique clinique, constitué de la Société Européenne de Cardiologie (ESC) et de sept autres sociétés, sont environ un tiers plus concises que la quatrième édition de 2007. « Nous sommes revenus aux premiers principes d'enseignement, en introduisant des chapitres sur la cardiologie préventive tels que Quoi, Pourquoi, Pour qui, Comment et Où », a indiqué Perk, de l'Université Linnaeus de Kalmar en Suède.
Les recommandations soulignent que la prévention des MCV doit être un « effort à vie », depuis la naissance jusqu’à la fin de la vie. Les aspects comportementaux de la prévention ont été au cœur des débats, la discussion ayant porté sur comment faciliter le changement de mode de vie des patients.
Les recommandations ont été lancées pour la première fois lors du congrès EuroPRevent 2012, qui s'est tenu du 3 au 5 mai 2012 et publiées dans l'European Heart Journal et l'European Journal of Preventive Cardiology. « C'était un choix délibéréqui nous permettait de structurer le congrès autour des recommandations, avec de nombreuses opportunités de discussions de diverses natures permettant à chacun d'accélérer le rythme », a expliqué le Professeur Ian Graham, président du Comité d’ EACPR de mise en application de la prévention , et coprésident du Comité du programme scientifique EuroPRevent 2012.
Des sessions spéciales ont été organisées autour des recommandations pour les médecins généralistes et les infirmières. Des sessions de formation supplémentaires, qui s'adressaient aux coordinateurs nationaux spécialement désignés dans les différents pays européens pour la mise en application des recommandations, portaient sur la façon de sensibiliser les hommes politiques, la profession et le grand public et de susciter leur engagement. Un outil électronique et intéractif sur l’utilisation des recommandations sera également lancé lors du Congrès EuroPrevent 2012. « Nous sommes réellement enthousiastes au sujet de cet outil, car il permettra aux médecins, étudiants et autres professionnels de santé de se former de manière interactive à ces recommandations par le biais d'observations cliniques et d'autres techniques d’apprentissage innovantes », a commenté Graham.
D’autre part, un format poche, une page A4 contenant toutes les informations essentielles et une série de diapositives sont en cours de développement. « Notre but ultime, c'est que chaque médecin de famille en Europe ait sur son bureau, un récapitulatif au format A4 des lignes directrices. Ce sera la bible en matière de prévention sanitaire », a précisé Perk.
Un besoin urgent d'améliorer la prévention des MCV
Les statistiques indiquant que les MCV sont la principale cause de décès prématurés à travers le monde soulignent le caractère absolu de la nécessité de promouvoir leur prévention. Chaque année en Europe, plus de 4,3 millions de personnes meurent d'une MCV (source : European Heart Network), et on estime que 42 % de l'ensemble des décès survenant avant l'âge de 75 ans sont imputables aux MCV chez les femmes, contre 38 % chez les hommes¹.
Mais la vaste majorité de ces décès aurait pu être évitée par l'adoption de mesures aussi simples que l'arrêt du tabac, l'amélioration de l'alimentation et l'augmentation de l'activité physique. Les essais cliniques et les études observationnelles communautaires apportent la preuve que les MCV sont dues à des facteurs de risque modifiables et qu'elles peuvent être prévenues. Par exemple, dans l'étude INTERHEART², une étude cas-témoin comparant les modes de vie d'environ 15 000 patients ayant souffert d'un infarctus aigu du myocarde et de 15 000 témoins, on a pu observé que neuf facteurs de risque modifiables représentaient 90 % du risque imputable chez les hommes et 94 % chez les femmes. Ces facteurs de risque étaient la dyslipidémie, le tabagisme, l'hypertension artérielle, le diabète, l'obésité androïde, les facteurs psychosociaux, la consommation de fruits, de légumes et d'alcool et l'activité physique.
« Les résultats de l'étude INTERHEART suggèrent que 90 % des infarctus du myocarde survenant à travers le monde peuvent être prévenus et que la majorité d'entre eux est la conséquence directe des choix de vie individuels », a déclaré le Professeur Guy De Backer, membre du groupe de travail sur les recommandations. « Mais l'aspect positif, c'est qu'il n'est jamais trop tard pour opérer des changements dans son mode de vie, même après un problème cardiovasculaire. »
Une étude datant de 2010 publiée dans Circulation³, pour laquelle Clara Chow et col. ont interrogé 19 000 patients ayant bénéficié d'un pontage aorto-coronarien après un IDM sur leur mode de vie, en apporte la preuve. L'étude, conduite dans 41 pays, a montré que les patients qui continuaient à fumer et ne surveillaient pas leur alimentation ou n'avaient pas d'activité physique étaient 3,8 fois plus exposés au risque d'IDM, d'AVC ou de décès dans les six mois que les non-fumeurs qui avaient modifié leur alimentation et augmenté leur activité physique. Les deux groupes respectaient leur traitement. « Le défi pour ces recommandations, c'est de parvenir à traduire cette évidence en soins préventifs effectifs et à persuader le grand public de mener une vie saine », a précisé De Backer, de l'Université Ghent, en Belgique.
Plus grande importance accordée aux études de population
Souhaitant opérer des changements radicaux, le groupe de travail a pour la première fois introduit le système GRADE (Grading of Recommendations Assessment Development and Evaluation), destiné à évaluer les données médicales probantes donnant plus de poids aux études de population.
Ce système est complémentaire à l'approche traditionnelle appliquée par l’ESC dans toutes ses recommandations, qui classe les instructions en différentes catégories (I, IIa, IIb ou III), en fonction du type d'essai dont sont issues les données probantes.
Le système GRADE, développé par le British Medical Journal, prend en compte d'autres facteurs que la seule qualité des données médicales probantes, tels que le degré d'incertitude sur l'équilibre entre effets bénéfiques et nocifs de l'intervention, de même que si l'intervention fait bon usage des ressources. Il permet de distinguer clairement la qualité des données probantes et la force des recommandations.
« L'approche traditionnelle d'évaluation de la qualité des données probantes privilégie les essais contrôlés randomisés (ECR). C'est une bonne méthode mais le problème, c'est que les essais sur les médicaments auront toujours plus de poids que les mesures relatives au mode de vie, car il est facile de conduire des ECR sur les hypocholestérolémiants ou les antihypertenseurs, mais difficile de réaliser ces mêmes essais sur l'arrêt du tabac ou les changements de mode vie », a affirmé Graham, du Trinity College de Dublin.
Le système GRADE utilise uniquement deux catégories de recommandations - fortes ou faibles. Celles-ci comprennent les fortes recommandations incitant à agir, celles incitant à ne pas agir et les faibles recommandations. Les conséquences d'un degré de recommandation fort sont que la plupart des patients informés pourraient choisir l'intervention recommandée, alors que si la recommandation est classée comme faible, certains patients pourraient souhaiter l'intervention mais la plupart n'en voudraient pas. « On espère que le système GRADE permettra une interprétation plus claire des recommandations par les médecins, les patients et les décideurs », a commenté Graham.
Le document complet des recommandations couvre tous les volets de la prévention
Les recommandations sur la prévention des MCV de 2012 explorent de nombreux thèmes tels que l'estimation du risque CV total, les pathologies à risque élevé de MCV, les méthodes de prévention des MCV, les interventions en faveur de l'arrêt du tabac, les habitudes alimentaires, l'activité physique, les facteurs psychosociaux, le poids corporel, la tension artérielle, le diabète de type 2, les lipides et les traitements antithrombotiques.
L'accent a été mis sur les principes qui régissent les changements de comportement, l'une des sections portant sur les raisons du non-respect des traitements médicamenteux par les patients. Chaque section est clairement identifiable par des messages et des instructions clés, les principales informations nouvelles (pour les vrais connaisseurs) et les lacunes en termes de données probantes. « Cette section est destinée aux chercheurs en manque d’'inspiration ! », explique Perk.
La nouveauté, c'est le chapitre « Où » consacré à la prévention dans différents contextes de soins qui explore les contributions des programmes de prévention coordonnés par les infirmières, des médecins de famille, des cardiologues exerçant en cabinet ou dans des services hospitaliers spécialisés en réhabilitation.
Le dernier chapitre se concentre sur la « nouvelle ère » d'engagement politique dans le domaine de la cardiologie préventive. Il montre comment, outre les activités de prévention médicale, les professionnels de santé devraient étendre leurs prérogatives pour inclure des activités de lobbying politique qui peuvent influer sur les comportements sains de la population.
« Bien que le terrain gagné sur le plan médical nous ait permis d'avoir un fort impact sur les MCV, nous devons obtenir l'engagement des politiques. Pour changer les comportements humains, il faut une volonté politique », a déclaré Perk. « Nous devons créer un environnement plus sain et pour cela, la législation doit être modifiée : il faut par exemple réduire la quantité de sel et d'acides gras trans dans l'alimentation, créer plus de pistes cyclables et exiger que les programmes scolaires prévoient plus d'activités physiques. »