La douleur était horrible. La peur, intense. Raymond Savoy faisait une crise cardiaque.
Raymond1, un électricien de 59 ans, sait depuis des années qu'il est en danger. Son taux élevé de cholestérol a provoqué l’apparition d’une plaque qui a bouché ses artères. Son médecin lui a prescrit un traitement comprenant une prise quotidienne de statines, le médicament le plus efficace disponible, mais Raymond Savoy n’en a pas voulu.
« J'ai vu des documentaires télévisés et des articles disant que les statines étaient inutiles, voire dangereuses », a déclaré Raymond Savoy plus tard. « Et je les ai crus. C'est une erreur qui m'a presque coûté la vie. »
« Il y a de plus en plus de désinformation médicale aujourd’hui », a déclaré le Dr François Schiele, chef de cardiologie au CHU de Besançon. « Les fausses informations diffusées sur les statines ne sont pas seulement trompeuses, elles font courir un risque à nos patients. »
Les statines sont le traitement de référence pour soigner l’excès de cholestérol, ou plus exactement le LDL-cholestérol (lipoprotéine de faible densité), il s’agit d’un des médicaments les plus couramment utilisés dans le monde. D'abord distribuées en 1987, elles sont utilisées quotidiennement par plus de 200 millions de patients et se sont révélées sûres et efficaces dans au moins 27 grands essais cliniques randomisés, impliquant chacun plus de 1 000 patients. Une méta-analyse a également révélé que chaque réduction de 40 mg/dl de LDL dans le sang entraine une réduction de 21% de décès d’origine cardiovasculaire chaque année2. Ces médicaments sont si importants et fiables que l'une des statines les plus courantes fait partie de la Liste des médicaments essentiels publiée par l’OMS3 en 2019.
Et pourtant, à l'ère de l'information, les statines ont été la cible d’une vague de désinformation. Ses opposants multiplient les affirmations erronées : accusations de risques pour la santé non prouvés voire de décès dus aux statines.
« La véritable tragédie ici, c'est que la vie des gens est mise en danger par des imposteurs dont les allégations ont été prouvées fausses, maintes et maintes fois, grâce à des années de recherches approfondies », a déclaré le professeur Ulrich Laufs, chef de cardiologie à l'hôpital universitaire de Leipzig.
Quelques-unes des accusations trompeuses, et les faits scientifiquement prouvés :
Affirmation : Le cholestérol n'est pas mauvais pour nous. C'est une graisse fondamentale pour la fabrication de nos cellules. On ne peut vivre sans cholestérol.
Réalité : Le cholestérol en soi est en effet essentiel à la vie4. Mais un excès de cholestérol LDL dans le sang produit des dépôts graisseux appelés plaques athéromateuses. Ces plaques bloquent le flux sanguin, ce qui peut endommager les organes, conduire à une crise cardiaque ou encore à un accident vasculaire cérébral5. Près de 3 millions de décès dans le monde sont liés chaque année à des niveaux élevés de cholestérol LDL6.
Affirmation : Manger des aliments riches en cholestérol, par exemple les œufs ou le beurre, ne vous tue pas - donc le cholestérol n'est pas un problème, mais un mythe de l'industrie pharmaceutique pour nous vendre des médicaments.
Réalité : De nombreuses allégations de santé liées à la nutrition sont incorrectes ou exagérées. En effet, manger des œufs ou du beurre en quantités raisonnables n'augmente pas le cholestérol dans le sang. On estime que 85% du cholestérol circulant dans le corps est produit par le foie, indépendamment de ce que nous mangeons, l’équilibre alimentaire n’est donc pas toujours une solution suffisante. Quant à l'affirmation selon laquelle l'industrie pharmaceutique s'enrichit en vendant des statines, la grande majorité de ces médicaments ne sont plus couverts par des brevets. Ce sont des génériques vendus pour quelques centimes.
Affirmation : Il n'y a aucun lien entre les niveaux de LDL-cholestérol d'une population et la fréquence des crises cardiaques dans ce pays.
Réalité : À l'échelle mondiale, environ 33 % des cas de maladies coronariennes peuvent être attribués à un taux élevé de cholestérol7. Plus de la moitié des européens (54%) ont un taux élevé de cholestérol LDL. Pour les adultes entre 35 et 55 ans, même en bonne santé, chaque décennie vécue avec un taux élevé de cholestérol augmente le risque de développer une maladie cardiaque de 39%8. L'Allemagne, par exemple, a l'un des taux de cholestérol les plus élevés au monde9. Elle est également classée au deuxième rang des pays à haut revenu pour ce qui est du taux de décès causés par une cardiopathie ischémique, ce qui peut entraîner une crise cardiaque10.
Affirmation : Le cholestérol LDL élevé est moins dangereux que de nombreux autres facteurs, comme l'inactivité, le tabagisme et l'obésité. Changer nos modes de vie devrait être notre première préoccupation.
Réalité : « Tous ces facteurs contribuent au risque de maladie cardiaque. Il est en effet essentiel d'arrêter de fumer, d'être physiquement actif et de surveiller son alimentation », a déclaré le professeur Stephan Gielen, ancien président de l'Association européenne de cardiologie préventive. « Ces changements de mode de vie peuvent réduire le taux de cholestérol de 5 à 10 %. Mais pour les personnes avec des niveaux élevés de cholestérol LDL, ces changements à eux seuls n'auront pas un impact dramatique. Il en faut plus », a-t-il dit. « Allier l'exercice et les statines réduit considérablement le risque de mortalité, c’est la combinaison idéale. »
Affirmation : Les effets secondaires des statines sont trop importants.
Réalité : L'effet secondaire le plus couramment rapporté par les patients sous statines est la douleur musculaire (myalgie), qui survient chez moins de 10 % des patients et qui est souvent atténuée par le passage à une autre formule de statines11. Les statines peuvent augmenter légèrement la glycémie mais seuls les patients présentant un prédiabète sont à risque de développer un diabète de type 2. On estime que cela se produit pour seulement 1% des patients. Des effets secondaires plus graves, comme la maladie d'Alzheimer ou le cancer, ont été signalés à quelques occasions sans toutefois apporter de preuves satisfaisantes. Concernant la maladie d'Alzheimer, une étude récemment publiée dans le Journal of the American College of Cardiology n'a trouvé aucun lien entre la prise de statines et un déclin de la mémoire ou des capacités cognitives. Les patients sous statines en raison d’une maladie cardiaque ayant également une prédisposition génétique à la maladie d'Alzheimer, ont en réalité obtenu de meilleurs résultats sur certains tests de mémoire12. L'auteur principal de l'étude, le Dr Katherine Samaras, professeur de médecine à l'Université de Nouvelle-Galles du Sud, en Australie, a déclaré : « Si vous éprouvez des problèmes de mémoire tout en prenant des statines, ne vous arrêtez pas. Parlez-en à votre médecin. D'autres facteurs peuvent être responsable de la perte de mémoire. »
Affirmation : Les patients qui prennent des statines devraient tout simplement cesser de les prendre.
Réalité : Des études publiées ont montré que les patients qui prennent des statines en raison du risque de maladie cardiovasculaire augmentent ce risque s'ils interrompent leur traitement. Une étude alarmante de 28 000 patients a constaté que 3 patients sur 10 ont cessé de prendre leurs statines, présumant que les douleurs qu'ils éprouvaient étaient dues au traitement. Résultat : Suite à l’arrêt des statines 8,5 % des patients ont subi une crise cardiaque ou un accident vasculaire cérébral dans les quatre ans, contre 7,6 % pour les patients ayant maintenu leur traitement13. Il y a également de nombreuses preuves des bénéfices des statines pour les patients âgés14.
« Il ne fait aucun doute que les bénéfices des statines l'emportent de loin sur tout risque », a déclaré Raymond Savoy après sa crise cardiaque « avec la prolifération des fausses affirmations, il est dangereux de décider par soi-même et les enjeux pour la santé sont trop importants. Prenez l’avis de vos médecins ou des institutions réputées qui ont passé en revue les nombreuses études publiées et donnent des conseils fiables.»
Par Lee Kamlet, journaliste freelance
Télécharger et imprimer le pdf